[ #Mayotte ] – Le climat de violence à Mayotte s’explique par des décennies de frustration

Le mouvement populaire, initialement provoqué par la cherté de la vie, a évolué vers la manifestation de frustrations de la communauté mahoraises de l’île. Elles sont nombreuses et se manifestent violemment.

L’association des départements de France appelle dans une motion les acteurs de la crise « à réunir les conditions de reprise du dialogue social ». Mais ces conditions ont évolué. Initialement, et comme le rappelle l’ADF, ce conflit social trouve ses origines dans la cherté de la vie, « due à la formation des prix largement en défaveur de la population ». Or le mot d’ordre « cherté de la vie » avait débouché aux Antilles sur une vraie crise identitaire avec plus que des velléités indépendantistes, menée par le LKP d’Elie Domota.

Alors sont ce ces volontés indépendantistes qui ont animé syndicats et élus, car on sait maintenant que ces derniers sont impliqués, lorsqu’ils ont débuté le mouvement ? Même si certains consultaient assidûment le manuel du LKP, cela semble invraisemblable alors que pas plus tard qu’en mars 2009, Mayotte votait à 95,2% son attachement à la République en désirant devenir département français.

Mais depuis quelques jours, les ranc½urs sortent du bois et le mouvement a muté : ce sont désormais les frustrations qui s’expriment. Elles sont extrêmes lorsque Ibrahim Maskaty, élu de la Chambre de Commerce et d’Industrie parle des 2% du pouvoir à Mayotte qui est entre les mains d’une élite (sous entendue métropolitaine) pendant que « les 98% restants en bavent ». Lors d’un entretien informel avec lui, nous avions convenu de concert de l’évidence : il n’y a pas à Mayotte assez de compétence pour occuper tous les postes clef. La gestion chaotique du Conseil général donne une idée de ce que pourrait donner une Chambre de Commerce et d’industrie dont les dirigeants ne penseraient qu’à embaucher les membres de leurs familles, ou dépenser les finances en voyage ou en 4×4. Mais comme le disait toujours Maskaty, lorsque les compétences sont là, elles ne sont pas utilisées. Et c’est un début d’explication à l’énorme frustration qu’est en train de crier dans la rue le peuple mahorais.

« La fin de l’Etat providence »

Un fin connaisseur de Mayotte préfère examiner d’abord les responsabilités locales : « c’est une question récurrente depuis 15 ans et que les politiques ont volontairement balayé : personne n’a réellement voulu s’intéresser à ce que deviendrait la société mahoraises après son changement de statut ». Or le passage d’une collectivité administrée par l’Etat à une gestion par les élus locaux nécessitait d’expliquer à la population les changements profonds que cela impliquait, « et notamment la fin de l’Etat providence »… Il aurait fallu par exemple penser en amont une reconversion des 3700 agents de la Collectivité. Ce manque de préparation se paie aujourd’hui par une désillusion.

Désillusion d’autant plus forte qu’elle n’a pas pu s’exprimer ces 15 dernières années : « les politiques ont fait des choix pour cette île en optant pour la départementalisation, mais ils n’ont pas laissé la rue s’exprimer par peur de s’éloigner du résultat souhaité ». La société de tradition orale a ainsi été privée de débats, de palabres, alors que le sujet aurait mérité des discussions au moins aussi poussées que celle qui portent actuellement sur le débat public de la piste longue de l’aéroport. Sans être orienté… Ces élus qui ont mené Mayotte vers la départementalisation connaissent en outre bien mal la population qu’ils représentent : « leurs études en métropole les ont décalés de la réalité de l’île, or ce sont eux qui font remonter les problème aux instances nationales. C’est pourquoi les manifestants sont venus chercher à plusieurs reprises Daniel Zaïdani, premier élu à avoir parlé des problèmes de l’île dans son discours d’intronisation ».

Et la mutation est multiple : « aujourd’hui, la population mahoraise est plongée d’un seul coup d’un seul dans une économie moderne, une économie de marché » explique notre interlocuteur qui refuse le procès fait à la grande distribution, dont Sodifram qui, quels que soient les bénéfices engrangés par la suite, « a galéré pour s’implanter à Mayotte », surtout que « l’esprit d’entreprenariat est indispensable pour l’avenir de l’île ».  D’ailleurs nombre de mahorais aisés auraient pu investir dans la création d’entreprises productives, et auraient ainsi élargi les fameux « 2% de nantis qui ont le pouvoir », mais ils ont préféré acheter appartements et terrains dont ils tirent maintenant de juteux bénéfices, sans que cela profite directement à l’économie mahoraise.

« Des roupies de sansonnet à la sauce mahoraise »

Les frustrations vis à vis du comportement de l’Etat sont aussi grandes : « les Mahorais s’attendaient à une équité, mais ils ont découvert qu’il y avait deux poids et deux mesures : ce qui est bon pour les Antilles ne l’est pas forcément pour Mayotte ». En gardant espoir que cela changerait avec le temps, la déception n’a fait que croitre puisque lors de la crise des Outre-mer, les Antilles ont bénéficié d’une aide de 50 millions de l’Etat alors que Mayotte a reçu moins de 3 millions d’euros.

Avec de surcroit les mesures suivantes, décidées en 2009 en Conseil Interministériel de l’Outre-mer, et présentées par la déjà ministre de l’Outre-mer Marie-Luce Penchard : « Renforcer le droit de la concurrence pour lutter contre les monopoles et surveiller les concentrations », « Créer un GIR (Groupement d’intervention régional) de la concurrence pour lutter contre les pratiques abusives en matière de prix et de nature à fausser la concurrence »… Exactement les mêmes revendications portées actuellement par la rue… Qu’a-t-on fait depuis 2009 ? Que d’énergie et de frustrations évitées si ces mesures avaient été suivies sérieusement ! Un autre exemple avec les ZPG (Zones des pas géographiques) qui touchent des terrains occupés dans certains cas par des mahorais avant l’appartenance à la France, et qu’ils doivent racheter pour se mettre en règle puisque la zone appartient à l’Etat… « On dirait que la France répète inlassablement les erreurs commises avec les autre départements d’Outre-mer ».

La démonstration massive de la force publique dès le début de la manifestation, puis ensuite lors du défilé des maires ceints de leur écharpe tricolore, n’a fait qu’accroitre le mécontentement d’une population « qui n’a pas compris pourquoi le préfet n’était pas capable d’un autre côté de mettre en garde le patronat contre des comportements inacceptables. Ce dédain commence à être perçu par la population mahoraise comme un racisme anti-noir couvert par l’Etat ».

Les responsables, élus et représentants de l’Etat ont une lourde tâche : réparer les dégâts en ne soufflant pas sur les braises comme on a pu tristement le voir ces derniers jours, mais en calmant les esprits, notamment en condamnant les violences contre les m’zungus.

Dans un deuxième temps, il faut programmer un débat, exigeant, avec des moyens aussi conséquents que ceux du débat public sur la piste longue pour qu’un dialogue entre les différentes communautés de Mayotte débouche sur une compréhension de l’autre, qui deviendra inexistante si nous n’y prenons pas garde.

Annette Laffond

 

(Source : Malango Actualité)

 

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