#Corse [Lingua Corsa] « Pour une nouvelle approche » par François Alfonsi

La question de la langue mobilise à nouveau la société corse. C’est un indicateur rassurant de la vitalité du riacquistu après quarante années, malgré l’érosion du bain linguistique et culturel au fil des générations et au rythme de l’urbanisation galopante.

Mais le débat devient plus concret : que peut-on, que doit-on faire pour réussir à rétablir la langue corse dans la société corse ?

De plan d’action en «feuille de route», la politique linguistique en faveur de la langue corse cherche son second souffle. Depuis les premières mesures il y a vingt ans, et notamment la création du CAPES de Corse au sein de l’Université, le constat est fait comme une appréciation de bulletin scolaire : très insuffisant. Très insuffisant pour assurer la permanence d’un bain linguistique insulaire qui se dégrade de façon continue, très insuffisant pour donner une maîtrise réelle de la langue à l’issue du cursus scolaire, y compris pour ceux qui ont pu avoir une scolarité bilingue complète, en réussissant à éviter les aléas de l’intermittence d’une année sur l’autre, ou au moment de passer du primaire au collège, puis au lycée.

Il est donc temps de faire un bilan, et de proposer une nouvelle approche dans le prolongement de la «feuille de route» adoptée par l’Assemblée de Corse sur rapport de Pierre Ghionga. Faire revivre une langue est affaire de moyens techniques et financiers, et aussi de choix politiques clairs. En ce sens, la revendication d’officialisation de la langue corse est fondamentale car elle contribue de façon décisive à un préalable essentiel, en rehaussant ce que l’Unesco appelle le «prestige de la langue», seul à même de stimuler la motivation des locuteurs qui n’ont pas le corse pour expression spontanée.

Or, dans la Corse de l’an 2030, dans laquelle s’épanouiront les nouveaux-nés d’aujourd’hui, ils seront la quasi-totalité de la population insulaire.

Au delà de ce préalable politique, quelles sont les priorités concrètes que l’on doit se donner ? Il faut raisonner pour cela en termes de «ressources humaines», car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Pour la langue corse, cette ressource est de trois ordres : celle des tout petits, ceux qui peuvent recevoir et assimiler sans difficulté plusieurs langues pourvu qu’ils y aient réellement accès le plus tôt possible. L’importance de la crèche et des premières années de scolarité est évidente pour cette tranche d’âge. Et le moyen de l’immersion est absolument crucial pour arriver à des résultats probants.

Lors du déplacement que j’ai organisé au Pays de Galles pour visiter des écoles immersives, l’évidence de ce constat s’est imposée à la délégation présente, et au delà à tous ceux qui ont été touchés par les retombées médiatiques de ce voyage d’études.

Le Collectif Parlemu Corsu animé par Micheli Leccia organise le week end prochain à Sàvaghju un séminaire associant tous ceux en France qui ont recours à l’enseignement par immersion, et avance des propositions concrètes pour que cela soit chose possible en Corse aussi, dès la rentrée 2013. Il a bien sûr tout notre soutien.

Deuxième «réservoir humain» auquel l’on pense aussitôt, celui de ceux qui, pour la plupart des seniors, sont détenteurs de la langue en tant que locuteurs naturels. Leur savoir est essentiel, et ils ont permis la chaîne humaine qui a transmis la langue jusqu’à aujourd’hui.

Par les médias (confer l’excellente émission quotidienne «dite a vostra»), par des moyens originaux tels que le parrainage comme le fait la politique linguistique catalane qui associe un locuteur affirmé à un locuteur en cours de consolidation de ses acquis, cette génération est essentielle au riacquistu, et il faut être attentif à sa demande d’une langue respectueuse de l’authenticité de ce qu’ils portent.

Les néo-locuteurs ne peuvent se contenter d’un sabir mal dégrossi et vaguement uniformisé s’ils veulent s’inscrire à leur tour dans la chaîne de la transmission.

Le troisième réservoir humain est capital. Il est présent dans cette tranche d’âge fondamentale, de 20 à 40 ans, des parents ou de ceux qui le seront bientôt. Ils sont aussi les actifs d’une société qu’il faut corsiser, notamment dans les secteurs clefs de l’éducation, de l’enseignant à l’accompagnatrice du car de ramassage, dans l’administration, dans les entreprises, en particulier dans tous les métiers au contact du public, de l’hôtesse de l’air au vendeur de supermarché.

Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux possèdent le plus souvent une connaissance passive de la langue, qu’ils comprennent mais ne pratiquent pas faute d’en maîtriser suffisamment l’expression orale. Or ils sont le cœur du potentiel linguistique du peuple corse, à partir duquel l’avenir doit se construire. Et, pour l’instant, aucune démarche structurée n’existe à leur propos.

D’où l’expérience que j’ai menée avec Scola Corsa, en tant qu’employeur à destination de mes assistant(e)s, pour concevoir des séjours linguistiques courts et intenses, avec le soutien de l’Assemblée de Corse.

C’est une piste intéressante à suivre, car les progrès réalisés par la dizaine de stagiaires de tous niveaux ont été spectaculaires. Il faudra notamment mettre en place un matériel d’apprentissage adapté, à l’instar de ce qui se fait dans les centres d’immersion linguistique établis un peu partout en Europe.

La question de l’avenir de la langue corse doit donc se fonder sur une nouvelle approche. Et la méthode la plus effective sera celle du passage à l’acte, au niveau institutionnel le plus élevé, celui de l’Assemblée de Corse, en contournant, ou en ignorant délibérément, les obstacles constitutionnels. Car c’est devant le fait établi que les avancées institutionnelles s’imposeront enfin.

François ALFONSI

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