« Langue #corse, et maintenant? »

En se prononçant pour la coofficilité, les élus territoriaux ont redonné à la langue corse sa dimension « nationale ». Un acte politique tout autant que symbolique. Mais il ne suffit pas de parler corse pour penser corse…

En se prononçant pour la coofficialité du corse, les élus territoriaux ont manifesté leur réelle implication linguistique.

C’est tout à leur honneur, même si les débats, comme s’il fallait qu’ils se conforment à une rigoureuse IGP, ont failli partir dans tous les sens.

Dans le cas où une telle décision trouverait sa concrétisation, les générations futures pourront les remercier.

Une langue devenue périphérique

Si tout se passe bien, si tous les moyens et les volontés sont mis en œuvre dans ce but, on imagine dans quelques années le corse ayant enfin trouvé ses locuteurs dans les échanges quotidiens et plus, le français occupant le statut de l’anglais dans la communauté européenne, celui d’une « langue de travail ». On peut rêver.

Ce label identitaire, les élus l’ont acquis à grand-peine, mais en même temps à peu de frais. Car le cadre était sans concession, bâti sur l’intransigeance. Ne pas promouvoir sa langue, ne pas se prononcer en faveur de sa survie, c’était ne pas aimer la Corse. Un postulat patriotique qui, une fois admis, rend impossible les votes contre. Et gare au retour de bâton… On pourra toujours rechercher dans un tel engagement des calculs politiciens, transparents ou non ; il n’en demeure pas moins que l’engagement est acté, et c’est le plus important.

« Quand un peuple n’ose plus défendre sa langue, il est mûr pour l’esclavage », écrivait Rémy de Gourmont. Il ne parle pas d’un peuple qui s’y prend un peu tard… Car nous sommes, chacun le constate, dans un processus de disparition bien avancé, où la conscience de la langue tient opportunément lieu de conscience de soi. Logiquement en position centrale sur son territoire, le corse s’est laissé marginaliser et placer au rang de langue périphérique. Pour comprendre le phénomène, qui est d’ordre général, les scientifiques ont défini le système linguistique comme « gravitationnel » : les membres du groupe, par commodité contrainte, communiquent par l’intermédiaire de la langue de niveau supérieur, celle dont la position résulte des logiques de pouvoir, des migrations, des invasions, etc. Ce qui, de manière implacable, tue le bilinguisme. Folklorisée, créolisée, la langue corse s’inscrit dans un champ culturel des plus restreints, sans commune mesure avec celui qui devrait être le sien.

Le refus de l’ethnocentrisme

La langue, comme une architecture, fait la société, et on voit où en est la société corse. Il est évident que la confusion linguistique intervient dans sa déstructuration, dans son approche du monde et sa perception des choses. De moins en moins, la langue maternelle, celle que l’individu entend dans sa prime enfance, avant même de parler ou de penser, n’a droit de cité. La langue agonise, elle est dans l’ambulance, on a décidé quel type de pneus lui mettre. Il faut maintenant démarrer, mais l’État possède la clef de contact.

La demande insulaire a-t-elle des chances d’aboutir ? Soyons réservés à ce sujet. L’État voudra vérifier s’il n’y a pas là une tentative d’instrumentaliser la langue pour en faire l’instrument d’un quelconque ethnocentrisme. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe sa réticence à adhérer à la fameuse charte, produite, on peut s’en souvenir, par des lobbies allemands légèrement sulfureux sur le lien qu’ils établissent entre langue, ethnie et race. La position française est connue : l’usage du français dans les régions est-il discriminatoire ? Non. La langue régionale obligatoire risque-t-elle de l’être ? Oui, si elle crée une inégalité de fait.

En avril 2008, le gouvernement prononçait déjà une fin de non-recevoir : « La France ne reconnaît pas en son sein l’existence de minorités disposant en tant que telles de droits collectifs opposables dans son ordre juridique. Elle considère que l’application des droits de l’homme à tous les ressortissants d’un État, dans l’égalité et la non-discrimination, apporte normalement à ceux-ci, quelle que soit leur situation, la protection pleine et entière à laquelle ils peuvent prétendre. »

Parler corse, penser corse

De François 1er à Hollande en passant par Richelieu, la logique est la même, quelles que soient les époques ou les régimes. La différence n’est acceptable que si elle entre dans le moule du moment. Et la langue ne fait pas qu’exprimer des idées, elle les forme aussi. D’où le risque d’abîmer une homogénéité durement acquise.

Allons plus loin que l’argumentation jacobine et référons-nous à l’étude des langues, notamment celles qui ont eu affaire à la réalité coloniale : si une langue disparaît, ce n’est pas parce que la langue dominante s’impose dans la vie quotidienne, c’est faute de locuteurs. C’est ceux-là qu’il faut retrouver ou recréer, par l’enseignement, par l’immersion. Tâche difficile, dont les résultats ne seront visibles que dans de longues années.

Le corse est dévolu, pour l’instant, à n’être qu’un instrument. Étape indispensable, certes, mais insuffisante. Il lui reste à réinvestir et à exprimer l’âme d’un peuple, dans toute sa richesse et ses particularismes. S’il ne sert qu’à traduire la pensée dominante, il ne justifie pas l’effort – le génocide linguistique pouvant dans ce cas prendre la forme du consensus. Parler corse est une chose, penser corse en est une autre. Lingua nustrale, soit, mais quelle réalité recouvre le collectif ? De quelle dépossession la communauté de destin est-elle le nom ?

On est là bien en deçà de la reconnaissance du peuple corse, si ce n’est de la corsisation des emplois. Mais, faute de mieux, nous devrons faire avec.

Pour redonner sa légitimité au corse, les postures politiciennes ne suffiront pas ; il faudra œuvrer dans l’exemplarité, que ce soit dans les médias, dans la société civile ou dans les assemblées. L’élan ne se décrète pas, ni à Ajaccio, ni à Paris.

(…)

by @Lazezu 

Revue de Presse et suite de l’article  : 

Jacques Renucci sur Corse Matin, sur Alta Frequenza, sur RCFM, Sur Corsica, Sur le Journal de la Corse,
Sur Alcudina, s
ur Corsica Infurmazione/Unità Naziunale, s
ur France 3 Corse, Sur Corse Net Info (CNI)

Corsica Infurmazione: l’information de la Corse, des Réseaux sociaux et des Blogs politiques [Plateforme Unità Naziunale]

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