
Le deuxième procès de 2009 avait été balayé en juin 2010. Cela ne signifie pas que la justice a fait table rase du passé. Car les avocats devront faire vaciller une cour d’assises composée de magistrats. Non de jurés populaires.
Une instance, à deux reprises, l’avait condamné.
Au plus haut sommet de l’Etat, là aussi, la donne a changé. Les déclarations récentes du garde des Sceaux évoquant le rapprochement des prisonniers du commando après le procès, montrent des signes d’apaisement.
Au-delà de ces évolutions il reste l’attente, insoutenable, de la famille Erignac depuis treize ans.
Dès lors, voudra-t-on plaider la thèse de l’innocence à tout prix en distillant les coups de théâtre ou avancera-t-on celle d’un membre passif du commando (qui pourrait écoper d’une peine minimale de quinze ans, comme Joseph Versini qui n’était pas présent) ? Seuls les débats traceront cette voie. Au milieu, Yvan Colonna, marié depuis peu, ouvrira peut-être l’horizon d’un dossier criminel et terroriste qui suinte la politique de toutes parts. Que miseront les parties sur la table ?
Le parquet maintiendra-t-il l’idée qu’il est le tireur ou se contentera-t-il d’un Colonna comme étant simple participant ? Le jeu des pronostics est là encore inutile. Mais il y a fort à parier que la bataille se jouera aussi dans l’opinion.
Nationale et insulaire. Sans anticiper sur l’oralité des débats qui est sacrée devant la cour d’assises, sept arguments à charge mènent à la culpabilité. Sept autres à son innocence.
1.- Pas de  preuve pas de coupable
Dans les 100 000 pages du dossier Colonna,  aucune preuve matérielle ne le relie à l’assassinat de près ou de loin.  D’ailleurs, son casier judiciaire était vierge avant de devenir l’homme le plus  recherché de France. Aucun ADN n’a été retrouvé sur le pistolet  semi-automatique, pas plus qu’une empreinte sur un étui. Même la téléphonie n’a  rien donné. Enfin, aucun des témoins ne reconnaît le visage d’Yvan Colonna.  Bref, les constructions intellectuelles de l’accusation fondent comme neige au  soleil devant l’examen des faits. Doit-on condamner un homme sur un faisceau de  présomptions ? Le législateur stipule que le doute profite à  l’accusé.
2.- Le roman du troisième  homme
L’accusation affirme que trois personnes étaient nécessaires  dans la rue du Kalliste, à l’aune des premières déclarations des membres du  commando. Mais seulement deux auraient pu tirer sur le préfet. Sachant que  Claude Erignac n’avait pas de garde du corps, protéger le tireur n’était pas une  priorité. Reste aussi la théorie d’un troisième homme qui n’est pas Colonna : un  natif de la microrégion assez proche du groupuscule et qui aurait servi de  gâchette au commando. Cette thèse a-t-elle été au moins creusée  ?
3.- Une enquête bâclée une instruction à charge
On  ne fera ici à Roger Marion qu’une place infime. L’ex patron de la direction  nationale antiterroriste au cœur de la guerre des polices avait été conforme à  sa réputation et à son surnom : Eagle Four (y gueule fort). Car le directeur  d’enquête avait fait beaucoup de bruit pour rien. Il s’était arrimé à la piste  nationaliste agricole avant que celle-ci ne prenne l’eau. Idem pour la fameuse  cellule du Nord des intellectuels, les professeurs Jean Castela et Vincent  Andriuzzi, condamnés en première instance, acquittés en appel. Le parallèle avec  le berger de Cargèse n’est pas loin. D’autant plus qu’Éric Dupond-Moretti était  déjà de la partie. Et puis il y a les enquêtes parallèles, celles des RG, du  préfet pyromane Bernard Bonnet ou des gendarmes qui ajoutaient à la confusion.  C’est donc finalement la piste des soldats perdus telle que la formulait le  commissaire Démitrius Dragacci qui était la bonne. Ces lenteurs n’ont pas permis  de tout mettre sur la table.
4.- Un grand rapport de médecine  légale pour de petits centimètres
Le soir de l’assassinat, le Dr  Paul Marcaggi, médecin légiste à Ajaccio procédait à l’autopsie. Il constatait  que trois balles de 9 mm avaient atteint le préfet dans la nuque. Selon lui, le  premier tir avait suivi une direction quasi horizontale d’arrière en avant,  tandis que les deux autres avaient été faits au sol. Les expertises balistiques  noteront un tir à « bout touchant ou bout touchant appuyé. » Mais aucun  spécialiste de la balle ne viendra à la barre. Seul le Dr Marcaggi supportera  les affres du ministère public. Son hypothèse ? Le tireur est de grande stature,  et il avait son bras à l’horizontale. Il était au moins aussi grand que le  préfet, soit 1,83 m. Yvan Colonna ne mesure qu’1,72m…
5.- Un  coupable en titre
À ses proches, le ministre de l’Intérieur Nicolas  Sarkozy susurrait qu’il ne serait un homme d’État à part entière que le jour de  l’arrestation d’Yvan Colonna. Le 4 juillet 2003, le ministre, qui a oublié la  présomption d’innocence, annonce l’arrestation de « l’assassin du préfet  Erignac. »
Ces interventions au plus haut sommet de la Nation ont tout  naturellement eu des répercussions sur la machine judiciaire. Depuis 1999,  Colonna était la pierre d’angle de l’affaire Erignac. Mais l’édifice judiciaire  s’est effondré lors du deuxième procès. Du témoin que l’on empêche de  s’exprimer, aux révélations fracassantes de Didier Vinolas, jusqu’aux  récusations d’avocats, le prétoire avait implosé.
6.- Un autre  tireur s’est désigné
Pierre Alessandri qui avait retiré ses  accusations en 2000, s’accuse en 2004 d’être le tireur. S’il vient alors d’être  condamné comme coauteur à la réclusion criminelle à perpétuité, l’agriculteur de  Cargese revient sur la dimension politique de l’acte et du procès. Ces  révélations allaient par la suite mener les enquêteurs au second pistolet dérobé  à la gendarmerie de Pietrosella. Le MAS G1 9 mm était dans une cache située près  de sa distillerie. Les implications de Colonna en garde à vue ? Seulement, selon  Alessandri, des échappatoires aux pressions policières. Rien n’était vrai. À sa  suite, les autres se rétracteront, avec plus ou moins de  pertinence.
7.- Yvan Colonna est-il capable de tuer un homme dans  le dos ?
C’est l’une des questions qui émaillera les débats. Pour la  plupart de ses proches, il en est bien sûr incapable. En outre, douze ans après  le début de sa cavale, Yvan Colonna n’est plus le même homme. Tout indique que  les avocats plaideront sa personnalité. Nationaliste, oui, tueur de préfet,  non.
1.- Un militant masquant sa  clandestinité
Un lien ancien existe entre les hommes du commando  originaires de la région des Deux-Sevi Deux-Sorru. Même si Colonna a minimisé le  sens de son engagement, il a été un membre de la Cuncolta Naziunalista. François  Santoni le situait d’ailleurs parmi « l’élite des poseurs de bombes. » Ce que  Colonna a toujours nié, ne reconnaissant être qu’un « sympathisant. » Après  l’assassinat du nationaliste Robert Sozzi, le 15 juin 1993, Yvan Colonna se  trouve à Corte, aux Ghjurnate internaziunale en compagnie notamment de Pierre  Alessandri quand le FLNC canal historique revendique l’assassinat.
Selon  Colonna, Sozzi est un « martyr de la lutte ». Ce sera le début de son  désengagement et de sa dérive vers le groupe des anonymes.
2.- Le  parallélisme des formes.
Au cœur de la « guerre des nationalistes »,  le 18 juin 1994, Pierrot Poggioli, leader de l’ANC échappe à des tueurs qui le  blessent par balle dans le centre d’Ajaccio. Deux mois plus tard, le 5 août, un  renseignement anonyme désigne Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colonna  comme étant les auteurs. Le 12 octobre, les deux premiers sont interpellés, puis  mis hors de cause. Yvan Colonna qui était « parti à la montagne pour y chercher  des chèvres » se présentera au commissariat d’Ajaccio. Il ne sera pas inquiété  dans cette affaire.
3.- Les déclarations des membres du  commando
Dès le 22 mai au soir, Didier Maranelli (guetteur devant la  préfecture), évoque lors de sa garde à vue un commando de six hommes. Désignant  d’abord chaque rôle par un code alphanumérique, il mettra par la suite un nom  sur le tireur, « X2 » : Colonna. Par la suite, Martin Ottaviani (le chauffeur),  Pierre Alessandri et Joseph Versini confirment son appartenance au groupe et sa  fonction. Alain Ferrandi reconnaît qu’il s’agit d’un acte collectif. On évoque  les « réunions préparatoires » du groupuscule des anonymes qui s’est réuni entre  autres sur la propriété des Colonna, à Cargèse, fin janvier 1998 puis quatre ou  cinq jours avant l’assassinat pour attribuer les rôles lors de l’assassinat de  Claude Erignac. Seul Joseph Versini, condamné en 2003, mais aujourd’hui libre,  avait refusé de participer à l’action.
4.- Trois hommes dans la  rue
Dans la rue Colonel-Colonna-d’Ornano, trois hommes étaient  nécessaires : un guetteur recevant le top de l’arrivée du préfet (Alain  Ferrandi), un tireur (Yvan Colonna), un homme en protection (Pierre Alessandri).  Certains témoins corroborent cette version livrée par les membres. Un en  particulier consolide cette thèse : José Arrighi, sans reconnaître aucun visage,  se souvient quelques secondes après les faits, avoir été dépassé par deux  hommes, rejoints par un troisième. L’un d’entre eux avait fait tomber un  chargeur par terre puis l’avait ramassé.
5.- Des femmes contre un  alibi
La journée du 6 février avait été pour lui semblable aux  autres : s’occuper de son troupeau de 250 chèvres. Dans la soirée, sa tante lui  avait proposé de rester dîner. Refus : « J’avais le petit à garder. » En  rentrant à son domicile, il avait trouvé porte close, sa femme étant sortie et  il avait dormi à la bergerie. Tel était l’alibi que donnait Yvan Colonna en 2003  pour le soir des faits. Mais les femmes des membres du commando livrent un autre  emploi du temps. La compagne de Didier Maranelli, Valérie Dupuis, se souvient  que l’après-midi du 6 février, son compagnon avait emprunté sa Clio blanche pour  se rendre à Ajaccio avec Colonna et Alessandri. Le soir, Jeanne Ferrandi se  rappelle avoir vu chez elle, peu après 21 h 15 Alessandri et Colonna avec son  mari. Le lendemain matin, enfin, Michèle Bruey, la compagne de Pierre Alessandri  était venue chercher ce dernier chez Ferrandi. Là encore, elle avait vu le  berger de Cargese.
6.- Une lettre encombrante et des  rétractations tardives
« J’ai demandé pardon mais ce n’est pas un  signe de la culpabilité d’Yvan. » C’est ainsi que le père de l’accusé, l’ancien  député de Nice, Jean-Hugues Colonna, tente de justifier en 2003 à la barre la  missive adressée à Dominique Erignac, la veuve du préfet. Au-delà de ce  contexte, il y a aussi les rétractations massives aussi bien des membres que des  femmes du commando.
7.- Méditations sur  l’honneur
Yvan Colonna : « Alain, je vais te parler franchement. On  m’a accusé à tort, tu le sais, toi. Maintenant, je te demande de dire la vérité,  de dire que je n’y étais pas… »
Alain Ferrandi : « Je sais que tu es un homme  d’honneur. Si tu as participé à cette action, tu l’aurais revendiquée, par  conséquent, je confirme que tu n’y étais pas. »
La réponse sibylline de  Ferrandi avait cloué Colonna dans le box. Tout lien de près ou loin avec le  commando le condamne avec eux. Lors du deuxième procès, Ferrandi évoquait  d’autres membres du commando. Et en 2011 ?
Paul Ortoli (avec son aimable autorisation)
 
 
				
